Tout commence dans un champ, en pleine campagne, où une femme d’âge mûr, l’air éminemment respectable, écarte les herbes hautes en se rapprochant de nous, puis s’arrête, regarde autour d’elle… et, face caméra, en nous regardant insensiblement, se met à danser, lentement, gestes amples, puis avec de plus en plus de conviction, d’énergie, ondulant comme une de ces herbes folles, sur la musique du générique.
Moment de grâce aussi pur qu’énigmatique, la première scène de Mother est au film ce qu’une ouverture est à un opéra, en ce qu’elle en reflète toute la trame ultérieure. Ainsi, la nouvelle œuvre de Bong Joon-ho, après les très remarqués Memories of murder en 2003 et The Host en 2006, s’affirme par la singularité de son point de vue, dans le cadre d’un récit somme toute classique de film de genre.
En effet, quoi de plus déjà vu, à première vue, que cette histoire d’une mère dont le fils un peu demeuré se retrouve accusé du meurtre odieux d’une adolescente ? Tout l’accuse en effet, ce grand dadais légèrement attardé, et malgré les certitudes de la police et de toute la communauté de la petite ville coréenne, c’est sa mère, convaincue de son innocence, qui va entamer une enquête par elle-même, enquête qui va la mener bien plus loin qu’elle ne l’aurait imaginée..
Mais loin d’utiliser les clichés du genre, Bong Joon-ho conçoit son récit avec une grande liberté, multipliant les pistes scénaristiques ouvertes puis avortées, et même quand on a l’impression de retrouver les rails des faiseurs de thrillers au kilomètre, on se rend immédiatement compte que la narration est un peu frelatée (à l’alcool de riz).
Le personnage de mère assez monstrueuse, castratrice, surprotectrice, incarné avec une intensité impressionnante par Kim Hye-ja, donne notamment d’emblée au film son ton unique, osant passer du burlesque au drame, de la noirceur à la poésie.
Une scène révélatrice parmi d'autres : la police découvre le cadavre atrocement exposé de l’adolescente, et la première réaction des flics est de dire que cela fait un bail qu’ils n’avaient pas eu de meurtre, et de se demander de quand datait le dernier…
Mais au-delà de son ton original, le réalisateur n’oublie pas les incontournables du thriller, avec un bon bol de suspense : comment notre mère-courage tente de sortir tout doucement de la chambre où est en train de dormir le présumé assassin, et paf, renverse une bouteille d’eau qui se vide lentement en une flaque qui s’élargit, s’élargit, et se rapproche petit à petit du doigt du tueur que le contact de l’eau va sans nul doute réveiller !
On retrouve dans ce langage purement cinématographique, universel, l’efficacité visuelle du cinéma coréen, entre Asie et Occident, influences américaine et orientale.
Je suis INCAPABLE de me souvenir du nom de ces réalisateurs -honte à moi - donc with a little help from wikipedia - qu’on pense à Park Chan-Wook (Old boy), Kim Jee-Woon (Le Bon, la Brute et le Cinglé), Kim Ki-Duk (Locataires) ou lm Sang-Soo (The President’s last bang), ces auteurs très différents ont en commun d’oser la crudité des images et des sentiments, l’inventivité du récit, les ruptures de ton, la priorité – très photographique – à l’ouverture ou à la vitesse, bref une certaine fraîcheur qui n’est pas sans rappeler la pureté originelle du cinéma muet…
Alors jusqu’où ira la relation mère-fils fusionnelle, limite incestueuse ? Et si dilemme moral il y a, rien ne dit qu’il ne sera pas promptement résolu par un point d’acuponcture dont l’héroïne du film a le secret !
Finalement, en suivant les allers et venues des personnages, entre ville et nature toute proche, on se laisse peu à peu embarquer dans ce récit étrange, jusqu’au final, réplique quasi-sismique de la scène d’ouverture, qui la rejoint et l’explicite, où a nouveau, la maman se met à danser, d’abord lentement, puis de plus en plus frénétiquement, comme pour oublier un cauchemar éveillé…
A noter : rien à voir avec Brothers, de Jim Sheridan, sorti une semaine après.
Mother (Joon Ho-bong, Corée, 2009)
Avec : Won Bin, Kim Hye-Ja, Jin Ku...
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