lundi 14 novembre 2011

Crazy Horse : La chair est triste (et lasse)

Si Fred Wiseman choisit d’introduire et de conclure son nouveau film Crazy Horse sur un montreur d’ombres chinoises, qui fait et défait de ses mains autant de personnages éphémères, c’est que lui-même procède ainsi, comme documentariste.

Crazy horse est en effet un luxueux montage alterné de numéros du célèbre cabaret parisien et des instantanés des coulisses, autour de la création du nouveau spectacle chorégraphié par Philippe Découflé.

Tout le projet réside donc dans ce va-et-vient permanent entre le glamour du spectacle offert aux touristes attablés devant leur (mauvais) champagne, et les échanges très prosaïques des costumiers, techniciens, danseuses et autres chargée des réservations.
Pour cela, Wiseman choisit de filmer les numéros dansés in-extenso, caméra souvent fixe, au plus près des corps, priorité à l’ouverture… des jambes, temps de pose calculé… à la fesse près !
A l’inverse, les scènes « off » sont souvent savoureuses, séances de travail rugueuses, répétitions laborieuses, loges exiguës des danseuses, interviews du directeur artistique aux logorrhées verbales aussi comiques qu’interminables. Les petites mains derrière le show ne sont pas oubliées, perruquiers, garçons de salles ou photographes des clients, à travers de sobres vignettes sans parole, témoignage de routines invisibles…
Ici, on est loin du Ohlala-le-Crazy-c’est Paris-et-Paris-c’est-Crazy, juste une communauté de travail au rythme quotidien qui veille, chaque soir, inlassablement, au plaisir des palettes de touristes déversés de leurs cars et taxis… simples ouvriers  de la dernière industrie française, j’ai nommé le «Paris-by-night » !
Du glamour et du cinéma vérité souvent drôle... alors d’où vient l’ennui alors ? Ce sentiment de voir passer les 2h14 du film ?

D’abord, le parti-pris des séquences sur scène accentue les  principes esthétiques de ce type de spectacle de nu, exhibition de formes dans de savants jeux de lumières, parfois sans même cadrer les visages, jusqu’à faire des seins et des fesses de pures… abstractions ! Des images de coraux ou d’insectes étranges, déshumanisées, voire désérotisées !
Plus grave encore, le principe même de l’alternance entre scène et coulisse, lumière et ombre, le décor et son envers, à force d’être répété tout au long du film, finit par lasser et ne tient pas la distance.
Je me souviens de ce moment du Mulholland Drive de David Lynch… sur la scène du cabaret Silencio, la chanteuse Dolores Del Rio apparaît, s’approche du micro… et entonne avec fougue une complainte déchirante.
Filmée de très près, lumière aveuglante des projecteurs sur le grain de sa peau… et tout-à-coup, elle s’effondre sur scène, évanouie. Et la musique continue. Et on continue d’entendre sa voix chanter.
En une seconde, le play-back a dévoilé l’artifice, la chanteuse est redevenue une femme, et dans la salle, le personnage incarné par Naomi Watts comprend, comme en contrepoint, que sa propre vie a été une illusion…

Rien de tel dans Crazy horse ; en choisissant de ne jamais filmer l’entrée ni la sortie de scène, ni de filmer les planches depuis la coulisse, Wiseman décide de ne jamais rapprocher les deux mondes, comme s’ils étaient étanches, séparés.
Et c’est ce qui fait que l’émotion n’est jamais présente : on ne voit JAMAIS comment ces femmes ordinaires, en coulisse, deviennent des icônes sous les projecteurs, et  comment ces moments de spectacle, où le temps est comme suspendu, retombent une fois le rideau tiré.
Au final, si l’on voulait être aussi boursouflé de prétention que l’inoubliable directeur artistique du film, on pourrait dire que Frederick Wiseman livre avec Crazy horse sa version de la caverne de Platon, jouant avec l’illusion et l’artifice… plus prosaïquement, je crains simplement que ses partis-pris radicaux aboutissent à une œuvre lisse et vaguement ennuyeuse.
Un peu comme si le génial documentariste n’était ici que l’ombre de lui-même (ah ah).

Crazy horse (Frederick Wiseman, France-USA, 2011)

samedi 29 octobre 2011

Drive : Conduite intérieure (très) noire


Elle vous saute aux… oreilles, cette musique. Des nappes synthétiques planantes, mystérieuses, parsemées de chansons qui fleurent bon le romantisme clinquant du début des années 80…
Elle est omniprésente dans Drive, de Nicolas Winding Refn – synthés tonitruants, boîtes a rythmes, relents de Giorgio Moroder : à l’image des titres du générique,  un rose tellement bonbon qu’il en est inquiétant !

Et pourtant,  c’est à une autre chanson des années 80, qui ne figure pas dans la remarquable BO signée Cliff Martinez (compositeur attitré de Soderbergh : Traffic, L’anglais, etc.), que le film me fait  penser.

1984
The Cars
Drive, sur l’album Heartbeat City
Allez, embarquez et lancez ici la chanson, tout en lisant la suite…


Who's gonna tell you when,
It's too late,
Who's gonna tell you things,
Aren't so great.
 
Entre le film et la chanson, une synchronicité de titre bien sûr, mais surtout  une parenté d’univers. Ambiance suspendue, poétique, un emballage sucré et coloré, pour un propos désenchanté, amer et violent.

You can’t go on, thinkin',
Nothings' wrong, but bye,
Who's gonna drive you home,
tonight ?

Le jour, il est pilote pour des cascades à Hollywood, et la nuit il est chauffeur pour des braquages.  Mutique, on ne sait rien de son passé, ni de ses pensées, on sait seulement que tout cela va mal se finir, forcément.

Sa vie bien organisée, où le risque est géré avec méthode et froideur, va changer avec une rencontre amoureuse, qui va le conduire a sortir de sa vie et a vivre son destin. Ce n’est certainement pas dans le scenario qu’il faut chercher l’intérêt du film : ce pur film noir aux envolées romantiques s’inscrit dans une tradition qui remonte aux plus belles heures des grands studios.

Who's gonna pick you up,
When You fall?
Who's gonna hang it up,
When you call ?


Non, ce qui fait du film un bijou qui scintille longtemps, longtemps, c’est sa forme, ses reflets, ses ondulations.  Cadrage composé au millimètre, lumières travaillées comme on n’en avait plus vues depuis le Ridley Scott des années 80, une stylisation extrême, fluide, aérienne comme les vues de LA la nuit, poétiques, reminiscences du Collateral de Michael Mann…

Refn nous conduit avec souplesse là où il l’entend, avec des dérapages plus ou moins contrôlés, comme ces accès de violence, ces accélérations du récit qui nous laissent pantois, de ralentis lyriques… et au fil du film, l’état du héros ne s’arrange pas !

Who's gonna pay attention,
To your dreams?
And who's gonna plug their ears,
When you scream ?


Bien sûr on pense au de Palma de Body Double, au Lynch de Wild at heart, au Scorsese de Taxi Driver, et le jeu de Gosling se situe quelque part entre Steve « Bullitt » McQueen et Nic « Sailor » Cage, passant sans transition du mutisme détaché au pétage de plomb hagard…

Mais il y a une incongruité, une forme d’humour saugrenu, comme ce blouson qui se tâche peu à peu mais que le héros conserve absurdement sur lui, et même le décalage entre le jeu doux, presque féminin de Gosling et l’ultraviolente tarantinienne subite qui l’anime dans certaines scènes.

You can't go on, thinkin'
Nothings wrong, but bye,
(who's gonna drive you)
(who's gonna drive you)
Who's gonna drive you home, tonight?
(who's gonna drive you home)

Alors The Cars, oui, car comme dans leur hymne des années 80, Drive mêle sophistication et sincérité, esthétique séduisante et profondeur des sentiments, au son d’un electro désuet et nostalgique.


Drive (Michael Winding Refn, USA, 2011), avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Ron Perlman, Albert Brooks

mardi 9 août 2011

The Tree of life : un film "Deux en un" ?

Un 2 en 1, ce n’est pas seulement un shampooing + après-shampooing ou une description de scène trioliste dans quelque porno, non, un 2 en 1, c’est aussi une sorte très particulière de film.

Nos amis de l’excellentissime site Nanarland.com en donnent la définition suivante :
« Procédé consistant à sortir un long métrage composé de rushes issus de différents films (allant de deux à l'infini), qui sont ensuite assemblés via le montage, avec différentes astuces - par exemple un nouveau doublage de l'ensemble - pour assurer un minimum de cohérence »
Selon les cas, soit le réalisateur qui récupère des scènes d’un film précédent tente de créer un semblant de lien entre les 2 films (champ-contre-champ de deux personnages au téléphone, par exemple), soit le film devient un grand n’importe quoi avec deux intrigues distinctes sans vrai rapport.

Très utilisée dans des films de ninja ou de Godzilla, la technique permet de faire plusieurs films avec les mêmes scènes, dans une logique de recyclage très développement durable, finalement.
Terrence Mallick n’a pas la réputation d’un cinéaste de séries Z, certes. Il n’a jamais réalisé Flic ou ninja ni L’arrière-train sifflera trois fois… et pourtant, pourtant, à la vision de The tree of life, on pense parfois à un bon vieux 2 en 1.

En effet, Mallick, dans sa volonté d’imbriquer deux récits parallèles, l’un décrivant la vie quotidienne d’une famille américaine des années 60, l’autre nous présentant rien moins que la création du monde, big bang, magma originel, premières cellules et dinosaures inclus, nous livre une œuvre déroutante et bancale.

Car autant la description de l’enfance et de l’adolescence d’un jeune homme, entre sa mère aimante (remarquable Jessica Chastaing) et son père strict (excellent Brad Pitt), sont décrits avec justesse et sensualité, autant le volet documentaire sur les origines du monde se révèle d’un ennui cosmique, voire confine au ridicule, avec une scène de dinosaure digne, justement, d’un bon vieux nanar préhistorique.

On voit bien l’ambition du film : confronter infiniment grand et infiniment petit, la naissance du monde et celle d’un individu, l’arbre de vie du titre se référant à la correspondance mystérieuse entre les deux.

Mais le résultat confine au grandiloquent, et je vous épargne le final clairement religieux, tout droit sorti d’une vidéo des Témoins de Jéhovah, symboles mystiques lourdingues et message messianique qu’on est libre de ne pas supporter.

Pour tout vous dire, j’ai même fini par espérer retrouver, dans ces dernières scènes de retrouvailles entre vivants et morts, notre petit dinosaure, pour un duel au soleil avec Brad Pitt, comme dans un de ces bons nanars qui ont au moins le mérite de ne pas se prendre au sérieux !

mardi 5 juillet 2011

Une date de sortie, ça cache toujours quelque chose

Deux versions pour un même film, l'une internationale, l'autre destinée au public anglo-saxon...