mercredi 22 septembre 2010

Toy Story 3 : moins vers l'infini, plus vers l'au-delà !

Quand Mr Patate croise Bergman
Une œuvre profonde et saisissante sur le thème de la mort. Un voyage initiatique vers l'acceptation de notre finitude, ouais, ouais.

Le 7ème sceau, de Bergman ?


Dead man, de Jarmusch ?


Non.


Toy Story 3, de Lee Ulkrich.

Le dernier-né des Studios Pixar dissimule en effet, sous sa fantaisie et ses couleurs, un manifeste humble mais grave sur la mort ; autrement dit : avec Woody et Buzz, viens faire un tour dans le theme park de la grande faucheuse !

La meilleure preuve ?
Le climax de l'opus 3 de TS3 se révèle être un apocalyptique moment d'acceptation de la mort - scène dite de l'incinérateur - au cours de laquelle nos petits héros vont, un à un, en se regardant au fond de leurs yeux de plastique, se donner la main pour affronter, devenus sereins, l'enfer du feu qui les attend.
Résignés à leur destin, ils n'attendent plus que l'ultime épreuve.

D'accord, il se trouve qu'un deus-ex-machina va les sauver, mais on peut se demander s'il n'est pas de la même nature que celui du film Brazil – souvenez-vous de Bob de Niro, super plombier surgissant du ciel sur un filin avec les résistants pour sauver le héros sur le point d'être lobotomisé. A la fin du pur chef d'œuvre de Terry Gilliam, on comprendra que celui-ci l'a en réalité bien été – lobotomisé – et que son sauvetage n'a eu lieu que dans son esprit désormais vidé...

Alors, de la même façon, les jouets n'ont-ils pas déjà péri et inventé leur survie à ce dernier épisode de leurs aventures ?

En effet, plus largement, c'est toute l'intrigue de Toy Story 3 qui sonne comme un voyage nostalgique vers une mort inévitable. Si, si.

Regardez l'enfant, Andy : il a maintenant 17 ans et va partir à l'Université. Bien sûr, il ne joue plus depuis longtemps avec ses jouets, qui sont sensés partir au grenier, destin auquel ils se sont résignés. Mais le destin en décide autrement, et tous les jouets se retrouvent dans une étrange garderie, dont ils auront toutes les peines du monde à sortir pour rejoindre Andy !

Et - nouveau signe - cette garderie est divisée en deux espaces... L'un où est tout est calme et doux, pays des enfants sages, donc paradis des jouets... L'autre où on retrouve les plus petits enfants, les plus excités, qui malmènent leurs jouets et leur font subir des châtiments incessants - à base de bave, de morve, d'arrachage de petites pièces, de coloriages hasardeux... Les nouveaux jouets doivent d'abord passer par cette épreuve, avant peut-être de rejoindre le havre de paix !

Jolie parabole du Paradis et du Purgatoire, non ? Avec dans le rôle de Satan, un nounours, forcément boiteux... et qui sent la fraise – ca change du soufre !

Il se trouve qu'on ne peut espérer sortir de la garderie que par le... vide-ordure ! Remarquez, c'est par là que les héros, finalement, sortiront de leur prison dorée. Et l'improbable évasion qui les y mènera, avant qu'ils ne se retrouvent par accident dans l'incinérateur sus-cité (vous suivez ?), sonne là aussi un peu comme une fiction.

Mais oui, m'enfin, la clé du scénario se trouve dans la scène inaugurale du film, poursuite incroyable dans le far-west, avec train, chevaux, vaisseaux spatiaux, dinosaure géant...où tout semble vrai – surtout avec la magie 3D – avant que l'on nous montre que tout est en réalité dans l'imagination d'Andy, qui joue simplement avec ses jouets dans sa chambre !

Eh bien, de la même façon, il est probable que les joujoux ont juste été jetés à la poubelle, direction Crâme-city, où il n'y a pas que leurs espoirs qui ont fondu... Bah, même pour les cow-boys d'opérette comme Woody, il faut savoir tourner l'apache...

Ce n'est donc pas un hasard si le film commence vraiment dans sa dernière partie, où le récit s'accélère, l'intensité s'accroît, et les blagues sont enfin drôles ! Comme si les dialoguistes et animateurs pouvaient enfin se lâcher, hors du carcan de la réalité qui empèse tout le début, et ne fait que répéter les deux premiers épisodes, en moins bien.

Enfin, le (très émouvant) final de Toy Story 3 n'est-il pas un peu trop beau pour être vrai ? Comme une résurrection... mais les résurrections, ça se fait rare, ces temps-ci, non ? (Jean-Pierre Chevènement, peut-être).

Mine de rien, Pixar ose donc le jouet comme métaphore universelle de la condition humaine, rien que ça, et va ici jusqu'au bout de son ambition.

Ainsi, la dernière image avant les crédits est un plan de nuages blancs sur un ciel bleu, image paradisiaque s'il en est – d'ailleurs, la première image de Toy Story I n'était-elle pas... un plan de nuages blancs sur un ciel bleu, sur le papier peint de la chambre d'Andy ? La boucle est bouclée.

Au final, c'est bien de la mort dont parle TS3, et pas juste de la fin de l'enfance. Le départ d'Andy pour la vie d'adulte sonne bien le glas de la vie des héros de la saga signée Pixar.

Et si la conclusion de ce dernier épisode a tout du bouquet final, par sa drôlerie et son émotion, c'est aussi qu'elle sonne comme un adieu à Woody, désormais le jouet d'une illusion...


Toy Story 3 (Lee Unkrich, 2010, USA).

mercredi 18 août 2010

Le cas Night and Day

Une affiche, c'est fait pour illustrer un film. En faire comprendre en un coup d'oeil le genre, l'atmosphère...

Pour le nouveau film de James Mangold, avec Tom Cruise et Cameron Diaz, manifestement, ce n'est pas simple, il suffit pour cela de comparer les affiches US et françaises.

Oscillant sans cesse entre action et comédie, premier et second degré, Night and Day ne manque pourtant ni de charme ni de drôlerie, mais le film souffre d'un sacré problème d'efficacité.

Film d'espionnage, comédie romantique, blockbuster bourré d'action, film comique... il ne choisit jamais son camp !

Les interprètes n'y sont pour rien, ils valent le détour dans toutes les situations et font étalage de leur charme et de leur humour - plutôt la faute à un scénario tellement remanié qu'au final, il n'est plus qu'une avalanche de scènes plus hénaurmes les unes que les autres, comme un grand 8 perpetuel divertissant mais qui tourne à vide.

Et finalement, la parodie est un des genres les plus difficiles à réussir... Souvenez-vous, dans un genre comparable, du Last action hero, de John McTiernan, avec Schwartzenegger ; là aussi, l'auto-parodie donnait un film excellent, mais pas du tout « efficace » en termes de rythme ni d'enjeux !

Preuve en est sans doute qu'aussi bien le McTiernan que ce Night and Day se sont plantés au box-office américain...

Le K

Partons de l'affiche originale : les noms des deux stars en police 258 indiquent bien que l'association du Tom et de la Cameron est l'intérêt du film.

Les deux silhouettes découpées la jouent un peu générique de James Bond, archétypes du genre avec une opposition féminin-masculin : l'homme est en mouvement (comme dans Charade), la femme se déhanche (comme dans Charlie's Angels, avec la même blonde aux yeux piscine).

En toile de fond, les taches de couleur annoncent un film aux couleurs chaudes, mélange de soleil et de sang – pas un hasard si les rythmes chaloupés et hypnotiques de Gotan Project sont très présents sur la BO et si les scènes les plus folles du film se déroulent à Séville, entre taureaux et arène - olé !

Bref un film d'action... haut en couleur.
Mais entre l'affiche originale et l'affiche française, c'est vraiment le jour et la nuit !

Pas le K

Pour la France, il y a d'abord eu cette première version teaser, où le titre change. Eh oui, on passe de knight à night ; curieusement, le K a disparu. Le personnage joué par Cruise s'appelle Knight, et au passage, on retire donc le jeu de mot du titre.

Déjà au départ, cela ne voulait pas dire grand chose, mais là, cela devient assez débile, il faut le reconnaître : pas évident pour un film d'avoir un titre à la fois incompréhensible et en même temps... banal.

(Le summum est bien sûr atteint par nos amis québécois - remarque, ils auraient pu traduire par « Chevalier et Jour », tant qu'à faire).

Continuons.
Entre le teaser et la sortie, la vraie affiche française change du tout au tout. Il faut dire qu'entretemps, le film est sorti aux USA et n'a pas marché, ni le jour ni la nuit. On imagine le brainstorming interminable du marketing France : comment montrer que c'est un film à la fois romantique, sexy, d'action et comique ?

Eh bien voilà le résultat, my friends.
Finies les silhouettes découpées, mystérieuses et archétypales. Non, on voit les 2 personnages dans une des poses acrobatiques du film, à la fois enlacés (sexy), bien coiffés (romantique) sur une moto avec des flingues (action) et enlacés-bien-coiffés-sur-une-moto-avec-des-flingues (comique).

Enfin, une baseline avec un jeu de mot pourave, puisqu'on a échappé à celui du titre américain, ce qui permet aussi de souligner le coté un peu potache du film, et son délire de véhicules divers (voiture, moto, hélicoptère, hors-bord, avion.., trottinette free-style – ah non, ça c'était trop cher).

Ah oui : le fond blanc sur lequel se découpent les personnages, c'est pour montrer que c'est une comédie, un peu comme dans, au hasard :

Revenons à notre affiche française... La solution retenue ne manque pas d'astuce, mais la position des 2 acteurs est, pour qui n'a pas vu le film, totalement absurde et on a l'impression d'un photomontage (remarque, quand l'on a vu aussi)

Donc, on se retrouve avec une image bien trouvée mais peu lisible. Elle dit trop de choses, cette image, et au final, le temps d'un regard à l'affiche... elle ne dit rien !

Mais un doute m'étreint subitement : comment les autres pays ont-ils résolu le problème ? Allons-faire un tour chez deux de nos voisins et néanmoins amis : l'Allemagne et la Grèce.

Nacht und Tag ?

Les allemands ont fait un choix différent, en choisissant une posture acrobatique comparable, mais avec un code couleur plus tranché, noir et blanc, titre en rouge. Cela nous donne un positionnement plus proche de film d'action que de film comique.

L'atttude des deux stars révèle avant tout la menace qui les entoure et leur complicité : cela rappelle un peu la scène ci-dessous de Mr and Mrs Smith par exemple.

A noter : l'affiche de Mr and Mrs Smith était beaucoup plus efficace, à la fois comédie (souvenez-vous, les silhouettes découpées sur fond blanc), film d'action (les flingues) et sexy (l'attitude des deux stars, face à face, adossées au bord).







Tom et Cameron vont se faire voir chez les grecs

Dernier exemple : nos collègues grecs sont en crise mais gardent néanmoins le moral, les bougres : témoin, cette affiche qui associe le coté sexy (les 2 stars enlacées), l'action (les guns), et aussi les taches de couleur de l'affiche originale en fond, qui, là, font juste très moche, il faut bien le dire.

Bref, vous pouvez aller voir Night and Day, vous ne le regretterez pas, mais ne vous attendez pas à autre chose qu'un grand n'importe quoi divertissant !

En cadeau bonus : pour mieux comprendre comment la scène à moto a été tournée, ben oui - tant pis pour la magie du cinéma :

A noter : cette chronique est un hommage au travail de l'excellent Alain Korkos, spécialiste du décryptage des images sur http://www.arretsurimages.com/, travail dont elle s'inspire largement aussi bien sur le fond que sur la forme.

(K)Night and Day (James Mangold, USA, 2010)
Avec : Tom Cruise, Cameron Diaz...

dimanche 15 août 2010

Hollywood, Usine à Rêves !

Lorsque commence Inception, il semble que tout déjà soit fini.

Nous sommes au bord de la mer, hautes vagues déferlant sur le rivage, un corps est échoué sur la plage, balloté par le ressac.

Mais l'homme bouge, un œil s'est entrouvert... ce n'est pas une fin, c'est l'ouverture : qui est-il, d'où vient-il, et pourquoi ces soldats japonais en armes qui le saisissent sur la grève ?

Nous ne tarderons pas à comprendre que Cobb, cet homme mystérieux, est - en réalité - le plus étrange des espions industriels : il extorque leurs secrets à des individus en les projetant, dans leur sommeil, à l'intérieur de rêves conçus sur mesure, dans ce monde où la technologie permet de partager les rêves.

Cobb est le meilleur dans son domaine, et c'est à lui qu'un riche industriel demande d'organiser une opération particulière, puisqu'il s'agit de monter une « inception », c'est-à-dire l'introduction d'une idée dans le subconscient d'un de ses concurrents, afin de lui faire prendre ensuite, sorti des bras de Morphée, la «bonne» décision.

Pour cela, Cobb et son équipe doivent fabriquer un rêve intégralement et s'y plonger avec l'individu ciblé, sans que celui-ci puisse bien entendu le soupçonner ! Mais le fait que Cobb ait lui-même un inconscient soumis à de lourds antécédents risque d'interférer dans sa mission...
J'ai encore rêvé d'elle
Le nouveau film de Christopher Nolan aborde de plein front le domaine du rêve – étonnant de la part du réalisateur d'Insomnia ? - dans une œuvre qui qui se veut à la fois labyrinthe ET divertissement.

Clairement inspiré dans sa thématique par Matrix et eXistenZ, Inception joue sur un univers-gigogne qui superpose des niveaux de rêves imbriqués, mais aussi sur une classique intrigue de film de braquage à la Ocean's Eleven.

En effet, les ingrédients du genre sont présents : Cobb/DiCaprio comme chef de bande qui va chercher un par un chacun les experts qui vont constituer son équipe, et puis ce grand hangar vide pour préparer leur coup, etc.

Dans sa volonté de concocter un vrai film d'action, Nolan aligne les morceaux de bravoure comme autant d'hommages à ses modèles : fusillade en pleine rue à la Heat, attaque de base enneigée couleur James Bond, poursuite dans les ruelles de Monbassa signée Jason Bourne, baston mains nues dans des couloirs dignes de Matrix...

L'intrigue d'espionnage d'ensemble elle-même fleure bon le bon vieil épisode de Mission Impossible, où la cible est un individu dont les faiblesses intimes causeront la perte, autour duquel une arnaque est montée, dans laquelle chaque membre de l'équipe joue un rôle – avec aussi un « homme aux mille visages », spéciale dédicace au grand Martin Landau !

Dreamer, you know you are a dreamer
Le film tient donc ses promesses d'action movie, mais soyons clairs, s'il casse la baraque, c'est moins pour ses scènes d'action, bien fichues mais sans souffle - dont certaines sont mêmes inutiles (la poursuite en pleine ville au Kenya, totalement gratuite) - que pour son scénario diabolique, les rêves s'imbriquant au fur et à mesure comme autant de niveaux de réalité parallèles !

En effet, tout l'enjeu du récit tient dans la simultanéité des climax, chacun situé dans un niveau différent, le temps s'y déroulant à une vitesse différente.

Et Nolan de revenir ainsi à ses obsessions déjà célébrées dans Memento et Le Prestige notamment : quelle est la différence entre ce qui est et ce qu'on imagine ?

Dans une passionnante interview dans les Inrocks, ici, l'auteur/réalisateur souligne que son interrogation porte moins sur le jeu entre le réel et le virtuel que sur l'INTERET même de la réalité : à quoi bon vivre dans le réel, si la fiction la dépasse ?

Le tour de force d'Inception réside donc dans le fait que nous savons (presque) toujours si nous sommes dans la réalité ou dans un rêve : le film ne joue pas sur cette confusion, mais plutôt sur le dilemme d'un homme.
Monsieur rêve
Là intervient la puissance du personnage de Cobb - interprété par Di Caprio avec beaucoup plus de finesse et de nuance que dans Shutter Island, dans un rôle curieusement proche – pris entre une réalité où il a tout perdu et le monde du rêve où tout est encore possible...

Cette névrose interfère sans cesse dans l'intrigue et fait du héros, une fois n'est pas coutume, le maillon faible de l'équipe (excellents Ellen « Juno » Page, Joseph Gordon-Levitt, Tom Hardy...). Et comme le film s'enfonce peu à peu dans l'inconscient du jeune dirigeant à manipuler, nous plongeons aussi en parallèle dans la psyché de Cobb, vers une double-rédemption ?


Profondeur de champ qui catapulte le film bien au-delà du pop-corn movie ! Machine à arrêter le temps, luna park surréaliste... cités cyclopéennes de verre et de métal qui s'effritent... dédales graphiques d'escaliers en trompe-l'oeil... et ce train qui déboule en pleine rue... et puis ces morts qui sont toujours là où on ne les attend pas... jusqu'à revisiter le mythe d'Orphée.

Remember, Orphée qui gagne le droit, par son talent de musicien, de descendre dans les limbes chercher sa défunte aimée Eurydice, à la seule condition qu'il ne la regarde pas pendant leur remontée vers la surface. Bien sûr, il se retournera et la reperdra définitivement.

De la même façon, Cobb, veuf inconsolable, gagne une dernière chance d'aller chercher son épouse au fond d'un niveau de rêve perpétuel appelé... les limbes, et il y a ces flashbacks récurrents de ses enfants sur la plage, qui partent toujours avant qu'il ne puisse voir leur visage, comme s'il ne fallait pas qu'il voit leur face, au fur et à mesure de sa descente – de sa remontée ?

De Morphée à Orphée, en passant par le Dieu Cinéma !

Eh oui, le rêve c'est aussi du cinéma ! Inception en éloge de la magie du montage, là où le temps passe différemment - ne peut-on pas vivre toute une vie, le temps d'un film d'1h30 ?

Où sinon dans le cinéma, retrouve-t-on cette idée typiquement onirique d'accepter les choses telles qu'on nous les présente : ici, on pose que dans ce monde qui ressemble en tout point au nôtre, la technologie du partage du rêve existe, sans aucune explication scientifique inutile !

Et bien sûr, quel meilleur architecte de rêve qu'un réalisateur comme Nolan, qui construit un univers ludique dans lequel il nous invite à nous perdre, nous autres simples spectateurs ?

Eh oui, un film, c'est juste un rêve partagé – isnt' it ironic que le gimmick sonore qui signifie aux personnages la fin prochaine du rêve où ils se trouvent, soit la chanson de Piaf « Je ne regrette rien », alors que justement Cobb est un homme qui regrette TOUT ! Clin d'œil, la chanson clôt aussi le générique de fin : réveillez-vous, amis spectateurs, la réalité vous attend dehors !

… Quant à Orphée, dans le mythe, il sera finalement déchiqueté par les Ménades, et sa tête, jetée dans le fleuve Hebros, ballotée par le ressac, finira par s'échouer sur une plage, hautes vagues déferlant sur le rivage - nous sommes au bord de la mer.

Et lorsque finit Inception, il semble que tout enfin commence.


Inception (Christopher Nolan, USA, 2010)
Avec : Leonardo diCaprio, Ellen Page, Marion Cotillard, Tom Berenger, Joseph Gordon-Levitt...

lundi 21 juin 2010

Mister Sandman, bring me a dream

Et si…
... et si Harry Potter n’était qu’un enfant-martyr parmi tant d’autres, tyrannisé par les Dursleys, enfermé dans le placard sous les escaliers, et qui s’imagine un monde extraordinaire dont il est l’élu… une école de rêve, des amis idéaux, grandir enfin…

Eh oui, pendant toutes ses aventures, Harry est enfermé dans son cagibi. Il lit, il rêve.



Le labyrinthe de Pan explore cette faille, cette fuite, dans un tout autre contexte...

En Espagne, en pleine guerre civile, Carmen s'installe avec sa fille chez son nouveau mari, officier de l'armée de Franco, au coeur d'une forêt, lieu de lutte avec les résistants communistes.

Dans cette période trouble, la jeune fille supporte mal sa nouvelle vie et l'autorité de son impressionnant beau-père (incarné par un flippant Sergi Lopez). Par hasard, un peu à la manière d'Alice, elle découvre dans la forêt un mystérieux labyrinthe. Là, une créature étrange, Pan, va lui révéler qu'elle est la princesse disparue d'un royaume enchanté, et qu'elle va devoir accomplir trois dangereuses épreuves...

Les correspondances avec l’univers du binoclard de Hogwarts sont donc nombreuses... une famille qui n'est pas la leur, la volonté de fuir le réel par l'imagination, de se rêver un destin extraordinaire...

Mais Guillermo del Toro a une approche plus extrême, et fait le choix de nous embarquer dans un conte fantastique noir, très noir, violent, parfois insoutenable (difficile de croire que c’est seulement interdit aux moins de 12 ans !), d’une poésie et d’une délicatesse infinies…

Ainsi, le réalisateur mexicain alterne habilement scènes très réalistes sous l’Espagne franquiste, et passages oniriques, pour construire une fiction sur la fiction. Un cauchemar sur les rêves. Dont on ne se réveille pas.

Alors découvrez le versant sombre d’Harry Potter : entrez dans le labyrinthe avec Pan. Vous en sortirez ébloui, secoué, ému.



Le labyrinthe de Pan (Guillermo del toro, Espagne, 2006)
Avec : Sergi Lopez, Ivana Bacero, Doug Jones...

vendredi 28 mai 2010

The Duellists : First they meet, then they fight !

Film culte.
Film culte.
Qu’est-ce que ça veut dire, « Culte » ?

Est-ce que ça veut dire « Chef d’œuvre » ? Ou bien « film d’une génération », couleur Grand Bleu ? Phénomène sociologique qui fait (La) Boum ? Ou alors classique intouchable sur l’étagère poussiéreuse de la cinéphilie moribonde (essayez avec l’accent de Frédéric Mitterrand, ça passe mieux, tout de suite) ?
Mon film culte à moi, c’est pas pour m’vanter, mais y a des chances pour que vous l’connaissiez pas, ou vaguement, comme ça…oui, donc Culte plutôt dans le style prétentieux pour happy few…

Je ne l’ai pas découvert au détour du Festival Essences et Métempsycose au Pathé de Belfort en mars 1987… ni dans un vieux bac à VHS en import direct, marqué d’un Z comme Série Z…

Non, c’était à la télé.
Je me souviens, la première fois, un après-midi à la télé, je devais avoir 10 ou 11 ans, quel émerveillement… C’est comme de tomber amoureux, on ne choisit pas, poum ça arrive, eh bien un après-midi, je suis tombé amoureux d’un film. Sans raison, comme ça.

Durant une bonne partie de leur vie, deux officiers de la Grande Armée s’affrontent dans une suite de duels aussi sauvages qu’absurdes. Embarqués chacun de leur côté dans la longue épopée napoléonienne, Ferraud le prolétaire (Harvey Keitel) et D’Hubert l’aristocrate (Keith Carradine) vont se croiser épisodiquement, au détour de villes de garnison, de champs de bataille, et au fil des années, la haine va gouverner leur vie, rythmée par des affrontements de plus en plus violents.

La raison de cette passion destructrice ? Rien, ou si peu, du futile, de l’honneur, mais en fait ce sont deux mondes qui s’affrontent …Deux hommes, deux styles, deux personnalités. Le révolutionnaire exalté contre le gentleman qui survit, le riche contre le pauvre, le peuple contre le bourgeois, celui qui s’adapte aux vainqueurs face à celui qui reste fidèle à lui-même. L’un qui est né pour perdre, l’autre pour gagner… Danny Wilde vs Brett Sinclair.


En parallèle à la vraie guerre, de France jusqu’en Russie, le film retrace une petite guerre privée à mort entre deux hommes du même camp. Pistolet, épée, sabre… les armes changent, les hommes montent en grade, les modes vestimentaires évoluent, les traits se creusent, les années passent, mais la haine persiste.

Leur affrontement se révèle aussi absurde dans ses motifs que la guerre entre les peuples, elle en souligne l’absurdité, car on sait bien que les guerres sont souvent voulues par des hommes pas très différents de Ferraud et D’Hubert, mus eux aussi par leurs instincts, et qui entraînent leurs peuples dans la violence sous quelque prétexte futile…… Vanité sous les oripeaux de l’honneur…

Le premier film de Ridley Scott, en 1977, est une merveille absolue. Loin d’être un film de guerre en costumes, Duellistes est un drame sans grandes batailles ni millions de figurants… une guerre intime plutôt qu’une fresque épique, un portrait croisé de deux hommes dans la mêlée.

Evidemment, tout le génie visuel de Scott est déjà à l’œuvre : tableaux sublimement encadrées et éclairés, campagne à l’aube, lumière rasante, Russie enneigée en pleine débâcle, tavernes enfumées, costumes incroyables, coiffures stupéfiantes, éclairages à la bougie…

Depuis cet après-midi là, un jour de vacances, j’ai toujours ressenti tous les films de Ridley Scott de façon particulière… Alien, Blade Runner, Legend, Thelma et Louise, Gladiator, et même le mal aimé Traquée… oui, sauf peut-être GI Jane, et quelques autres très oubliables (1492, cette catastrophe boursouflée) ! Même Hannibal m’a fait rire, par son cynisme, son autodérision et son grand guignol assumé. Une indulgence immense donc, certes, et tout ça… vient de Duellistes.

Mais bon, film-culte, c’est un peu exagéré, non, me direz-vous ? Duellistes est en effet généralement considéré comme un joli petit film, propret… et effectivement, l’histoire est un peu sage, le filmage trop appliqué, esthétisant, sans doute, et les personnages sans grande surprise… et pourtant…

J’ai revu Duellistes depuis, souvent, j’en ai vu toute ses faiblesses, ses facilités… j’ai compris qu’il n’est qu’un sous-Barry Lyndon… mais l’émerveillement persiste.

Harvey Keitel, Keith Carradine, les tenues de hussard, les décolletés des prostituées de guerre, la fureur du duel au sabre dans une grange, avec lumière diffuse passant à travers les planches… ce duel au petit matin, verte prairie… merveille… ce lever de soleil final sur un paysage du sud-ouest de la France… magique.

Magique... non pas grâce aux histoires d’amour de D’Hubert, jolies mais classiques... (pas de love story avec Ferraud, je vous préviens, on n’est pas dans un « First they meet, then they fight, and in the end they fuck » (Formule déposée, Copyright Khaali)) !
Non, c’est avant tout la relation entre les deux hommes qui est fascinante. Une vraie passion, une passion haineuse, destructrice, rare, simple, dont l’absurdité touche au métaphysique, mine de rien, quand elle va devenir pour Ferraud une raison de vivre…


Je l’ai souvent montré, ce film, aux gens que j’aimais, avec divers résultats, des remarques du style « pas mal », et même, une fois, un charmant endormissement avant la fin ! Heureusement, il n’y a pas que pour moi que Duellistes est culte… entre autres, cette passion, je la partage depuis ce jour d’enfance avec mon frère…

Quinze ans plus tard, un jour, il a justement ramené de voyage un magnifique poster original du film, avec son accroche qu’aujourd’hui encore, je trouve sublime, je ne saurais dire pourquoi (peut-être parce qu’elle a le goût de mes 10 ans) :

Fencing is a science.
Loving is a passion.
Duelling is an obsession
Ce poster, mon frère me l’a prêté quelques années, manifeste sur le mur de mes chambres d’étudiants ; et puis un jour il l’a récupéré, mis sous cadre de verre et affiché dans le couloir de son appartement.

Finalement, cultes ou pas cultes, les souvenirs finissent toujours dans des boîtes.

The Duellists (Ridley Scott, UK, 1977)
Avec : Keith Carradine, Harveil Keitel, Cristina Raines...

lundi 17 mai 2010

Le film dont tu es le héros !

- Et alors, c'est bien Kick ass ?
- Ouais, sympa, le film de geek, quoi !
- Mais c'est bien ?
- Ben, tu vois, c'est bien le film de geek, quoi !


Le héros de Kick ass, Dave (Aaron Johnson, nouveau venu à suivre) est un ado mal dans ses baskets, qui traîne avec ses semblables binoclards, pas sportifs, sans nanas. Ils passent leur vie dans des livres, dans des films, sur des jeux vidéos en ligne, sur Internet et dans les magasins de comic books.

Comme tout geek qui se respecte, Dave n'est pas à l'aise dans la vraie vie, et son truc à lui pour la fuir est de se demander pourquoi personne n'essaie d'être un super-héros dans la réalité. Il se met donc dans l'idée d'en devenir un lui-même, bien qu'il n'ait aucun pouvoir ! Il se lance dans la rue, avec une combinaison achetée sur Internet et s'invente un nom cool : ce sera « Kick ass » !

Comment ce gamin sans histoire va devenir un phénomène médiatique, à coup de You tube et de Facebook ; comment vont débouler dans sa vie deux autres super-héros, anges de vengeance tout droit sortis de Kill Bill, papa (Nicolas Cage) et sa fifille de douze ans (épatante Chloe Moretz). Ultra violents, ils tranchent singulièrement avec le ton gentil du film, et vont amener notre super-héros de cour d'école à affronter un vrai grand méchant, chef mafieux sans scrupules !

Selon wikipedia, la définition du geek est : « personne passionnée, parfois de manière intense, par un domaine précis. Il s’emploie entre autres dans le domaine de l’informatique ainsi que dans celui de la science-fiction. ».

Si la robotique a 3 lois, la geekitude, elle, en a 5, fondamentales, chacune étant suffisante mais non-nécessaire.
Profitons de la sortie de Kick ass pour les formaliser... nous les appellerons les 5 lois du Film Geek, ta-ta-taaaa !

Loi n° 1 : Le film dont vous êtes le héros

Tel l'albatros du poète, lourd et maladroit sur le pont du bateau, le geek, à l'image de Dave dans Kick ass, ne trouve pas sa place dans la société, et n'attend qu'une chose, s'envoler pour d'autres mondes alternatifs.

Un bon film de geek, c'est donc d'abord souvent un film dont vous, geek, êtes le héros !

Souvenons-nous d'autres films de geeks célèbres :
- Retour vers le futur, avec fuite du jeune Marty dans des réalités alternatives futures, quitte à s'y reprendre à plusieurs fois dans la trilogie, pour parvenir à la réalité idéale,

- Matrix bien sûr : Néo, lui-même informaticien dans son cubicle – le top du geek – que l'« on » vient chercher sur son ordinateur,

- Brazil, autre célèbre oeuvre-culte geek, où - attention spoiler - le héros en train d'être torturé à mort va fuir définitivement la réalité en imaginant son sauvetage par un mouvement de résistance !

Allons plus loin : Luke Skywalker dans l'épisode 4 de Star Wars, n'est-il pas une sorte de geek ? Adolescent désœuvré sur sa planète paumée, sans copine, il n'attend qu'une chose : qu'on vienne le chercher pour vivre une aventure inter-galactique qui va le faire devenir un héros de légende !

- Oui, mais Bruce Wayne alors, il est mal dans sa peau d'ado, c'est ça ?


Loi n° 2 : Choisissez un genre non-réaliste !
Certes.
Si Batman ou Le seigneur des anneaux sont adorés par nos amis geeks, cela peut être aussi lié à leur genre même, bien entendu. Les films de SF ou d'Heroic-Fantasy, en tant qu'uchronies, recréations d'un univers alternatif et cohérent, peuvent être largement considérés comme films de geeks : Conan, Terminator, Blade Runner, Dark City, Star Trek, Willow...

Le film de Super-héros en fait aussi partie, bien sûr ! Sam Raimi, célèbre geek, se projette totalement dans ses Spiderman en Peter Parker, loser malingre, qui n'arrive pas à conclure avec cette becasse de Mary-Jane... Mais un beau jour, grâce à un heureux accident, il devient un Super-héros et sera reconnu par petits et grands – cool – et en plus, il pourra pecho la rouquine voisine !

- Hé, Tarantino est une idole geek, et pourtant il ne met en scène ni superbonzhommes, ni ptits hommes verts ni guerrières aux seins nus, que je sache ?

Loi n° 3 : Citez vos références !
Gnak-gnak.
Kick ass répond effectivement aussi à cet autre loi de geekitude : citer explicitement ses références ! On y trouve en permanence des citations de films par la voix-off, des affiches de Mike Mignola au mur, des gimmicks sonores d'Ennio Morricone, etc. !

En gros, je vois le monde à travers mes références : regardez Clerks, petit bijou uniquement construit sur les délires de deux vendeurs de video-clubs.

- Oui mais le personnage qui explose tout dans Kick ass, c'est une nana, Hit-girl, et ça, c'est pas très geek, non ?

Loi n°4 : Cherchez (pas) la femme !
Pfff....
Ce n'est pas la petite Hit-girl, ou même Trinity (Matrix), personnages actifs à caractère, qui changeront les choses : avec leur côté garçon manqué, elles ne représentent qu'une sorte de sidekick idéal, simple « Robin » à jupette !

En effet, dans le film de Matthew Vaughn comme dans la plupart des geek-movies, les femmes sont assez rares, ou alors objets de fantasme avant tout, moteurs de l'action mais rarement actives. Ici, les seules femmes sont ainsi une jolie petite copine spectatrice du récit et enjeu de l'aventure, une mère décédée et une prof à forte poitrine.

Dernier standard essentiel de la geekitude : le monde des ados contre le monde des adultes.

Loi n°5 : La guerre des mondes
Le geek est cool, l'adulte ne comprend rien. Dans Kick-ass, on est dans un monde sans autorité : les parents sont morts ou transparents, la police est corrompue et la justice inexistante ! Quant aux professeurs, ils sont réduits à des fantasmes pré-pubères.
Les vrais adultes actifs sont... les méchants ! Particulièrement le chef mafieux que vont affronter nos héros, entouré de sa palanquée de tueurs.

… est-ce un bon film pour autant ?
Au final, le film de Vaughn cumule donc les 5 lois du vrai film geek : héros geek qui s'invente une autre vie (1) et devient un super-héros 2), qui cite explicitement des films et visuellement des jeux vidéos (3), considère les femmes comme de simples enjeux scénaristiques avec de gros seins (4), et qui affronte le monde des adultes (5) !

Intrigue sympathique, efficace mélange de 1er et de 2d degré, des bons gags, un mauvais goût assumé, d'excellents acteurs.., mais à force de citer Tarantino ou les Wachowski, on en vient à se demander... ici, où est le souffle d'une vraie mise en scène, où est la singularité du ton, où est la virtuosité des chorégraphies visuelles, bref où est l'originalité ?

Eh bien, nulle part !
Kick ass
est juste un petit film drôle de super-héros, moins réussi dans le style « canardage hénaurme » que Mr & Mrs Smith par exemple ; et dans le genre parodie de super-héros, on peut presque préférer le plus ringard mais moins branché Mystery Men, avec Ben Stiller !

Le mot de la fin à Alexandre Astier (Kaamelott) autre geek célèbre, joli hommage à un phénomène qui, de marginal, devient de plus en plus mainstream :
"Un geek est une personne qui ne parvient pas à trouver une raison satisfaisante
de devenir adulte."

Kick ass (Matthew Vaughn, USA, 2010)
Avec : Aaron Johnson, Nicolas Cage, Chloe Moretz

mercredi 5 mai 2010

Monstres & Cie

Difficile de parler du début d'History of violence sans évoquer le fameux « effet Koulechov ».

Lev Koulechov, en dépit de son patronyme qui fleure bon le lanceur de poids, était un cinéaste russe, qui a mis en évidence et théorisé la propension d'une image à influer sur le sens des images qui l'entourent, dans un montage cinématographique.

Koulechov a notamment développé l'expérience scientifique suivante : il choisit un gros plan d'un acteur, avec une expression neutre. Il construit ensuite trois montages différents, incluant ce même plan.
Dans le premier montage, avant le gros plan, il insère un plan d'une assiette de soupe. Dans le second montage, il insère, à la place de l'assiette de soupe, un cadavre dans un cercueil. Enfin, il insère un plan d'une femme allongée sur un canapé.

Interrogés après le visionnage de chaque séquence, les spectateurs doivent caractériser le sentiment exprimé par l'acteur. Dans le premier cas, les spectateurs croient percevoir la faim, dans le second, la tristesse et dans le dernier le désir.

Les images ne prennent donc sens que les unes par rapport aux autres, et non indépendamment les unes des autres. Cet effet est à la base de la narration cinématographique.

Et c'est sur cet effet que joue David Cronenberg pour introduire son A History of violence...

« J’ai fait un cauchemar, j’ai rêvé que des monstres étaient dans le placard »... la petite fille réveille toute la maisonnée en pleurant, et viennent à son chevet son père compréhensif, sa maman rassurante et son grand frère ado protecteur…

Papa, Maman, Grand-frère… notre belle famille, réunie autour de ses corn-flakes du matin, lui calme et aimant dans son petit restaurant de quartier, elle, avocate à la quarantaine sereine, leur fils, sensible et sage, et enfin la petite fille à la blondeur espiègle…

Ces scènes d’ouverture, dégoulinantes de bonheur publicitaire, ne sont supportables que parce qu'elles ont été précédées d'un pré-générique ultra violent, qui semble n'avoir rien à voir. Tout ce qui suit, même le plus banal, se voit ainsi avec une sourde inquiétude… attente angoissée du moment où cette introduction sanglante va rejoindre et souiller ce bonheur idéal…
Effet Koulechov garanti !

Et ce moment arrive.

Car le braquage de son tranquille diner par deux psychopathes va faire réagir Tom non pas à la manière d’un bon père de famille, mais comme un véritable tueur.

Son passé est à ses trousses.
Sur la trame ultra simple et efficace d’une série B, David Cronenberg s’amuse avec les fausses pistes, nous entraîne sans cesse là où on ne l’attend pas et joue avec un certain humour sur tous les codes du genre, pour conduire au final une réflexion troublante sur la nature humaine.

A History of violence autorise en effet plusieurs niveaux de lecture : l’histoire d’un brave type rejoint par son passé et qui va tenter de s’en sortir en protégeant sa famille… et une parabole provocatrice sur la graine de violence prête à germer en chacun d’entre nous !

La mise en scène joue la sobriété, ce qui met encore plus en valeur les quelques moments bruts qui éclatent comme autant de chocs émotionnels ; comment une dispute conjugale se termine en scène de sexe animale, digne de Crash : papa et maman qui baisent comme des bêtes dans l’escalier, excités par cette atmosphère de violence ?

Comment ne pas citer aussi une scène magique de retrouvailles entre les deux frères qui ne se sont pas vus depuis 15 ans (excellents William Hurt et Viggo Mortensen) : rapport de force oscillant sans cesse entre le sourire et la terreur. Face à face, à la fois les deux petits garçons qu’ils étaient, et les deux tueurs d’aujourd’hui …
Au final, le bonheur Ricoré ne saurait cacher que les vrais monstres, ils ne sont pas dans le placard. Ils sont là, avec toi, gamine… ton père, ta mère, ton frère… tous des monstres !

Là se situe une morale… amorale d’A History of violence. Le Mal est invité à la table familiale, et son couvert doit lui être servi. Cet épilogue nous laisse, comme spectateurs, devant ce dîner, seuls face à nous-même.

Devant ce festin, nus.

A history of violence (David Cronenberg, USA, 2006)
Avec : Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris, William Hurt...
D'après le roman graphique de John Wagner et Vince Locke.

vendredi 16 avril 2010

Adèle Blanc-sec : la coupe est pleine !

Pourquoi ça ne marche plus ?

Pourquoi a-t-on adoré Le Dernier combat, Le 5ème élément, Léon, Nikita, et même Subway, et pourquoi on s'ennuie aujourd'hui à Adèle Blanc-Sec ?

Je me souviens du Dernier Combat. Vu en VHS quelques années après la sortie, puis revu en salle... pour moi, un chef d'œuvre. Abstrait, intense, sophistiqué, en un mot : neuf.

Je me souviens de Subway : oui c'était branché, clinquant, frimeur, mais ça m'avait fait l'effet du Diva de Beineix : une jubilation à suivre Jean-Hugues Anglade en roller dans le métro, et la chanson de Rickie-Lee Jones sur le slow d'Adjani et de Christophe Lambert au faite de sa gloire néon-péroxydée...

Je me souviens de Gary Oldman et de la ptite Natalie Portman, de Parillaud hurlant son nom aux flics « NIKITAAAAA »...et Bruce Willis si cool dans son taxi volant sur lequel atterrit Leeloo-Jovovich !

Et aujourd'hui... je viens de voir Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-sec.

Soyons honnête, l'intrigue conserve une bonne partie du sel des BD de Tardi, univers foutraque, ambiance de comédie fantastique matinée de feuilleton d'avant-guerre, fantasque, où tout est possible : dinosaure, momies ressuscitées, des mystèèèères, une héroïne dure-à-cuire, le Paris d'avant-guerre... alors comment peut-on rater un film comme celui-là ?

D'abord, let's talk about « the Besson's touch », ce ton désinvolte, trivial, décontracté, qui se veut cool... et en fait creux et artificiel ! Comique troupier, répliques trop écrites mais mal écrites, vannes à deux balles, qui alourdissent l'action, dignes d'un vieux Chuck Norris – rhââ les action movies des années 80 !

La touche Besson, ce sont aussi les personnages, monoblocs, superficiels, caricaturaux : flics stupides, toujours dépassés par les évènements, lourds et vulgaires (remember les Taxi et la plupart des productions Besson), l'amoureux transi donc bégayeur, les politiciens couards ET libidineux, etc etc.

Simples silhouettes de cartes à jouer ? Pourquoi pas si stylisation il y avait, mais non, pas vraiment... malgré les postiches, on n'est ni dans Dick Tracy ni dans Sin City !

Alors les acteurs font ce qu'ils peuvent : Louise Bourgoin en Adèle est charmante et dynamique, et remplit son contrat avec talent, mais elle ne joue que sur une seule note ; on imagine ce qu'une Julie Depardieu ou une Sylvie Testud en aurait fait ?

Autour d'elle, des comédiens excellents mais clairement sous-employés : Amalric méconnaissable, Gilles Lellouche ridicule et avec guère d'espace, Jean-Paul Rouve qui - limite - rejoue un personnage des Robins !

Soyons fair, tout n'est pas à jeter malgré tout : l'intrigue garde une fantaisie certaine, et la direction artistique est très réussie, avec une attention particulière sur les génériques de début et de fin, de jolies idées de transition entre les scènes, et de belles créations visuelles (les momies sont trop mortelles).

Mais bon, ça ne suffit pas à faire un film... à peine une belle bande-annonce.

Comme si Besson, à force de ne s'inspirer que de cinéma, ne faisait que répéter à l'infini du déjà vu ailleurs : par exemple, Adèle commence comme Amélie !
Plus exactement, le film débute exactement comme un JP Jeunet : voix off très précise pour présenter les personnages (pendant ce temps, à 542 mètres, blabla...), filmage des tronches en contre-plongée...
Un peu plus loin, la partie Égyptienne, ratée, tellement ratée, n'est qu'une resucée d'Indiana Jones et de La Momie, et ainsi de suite. Et je vous passe les clins d'oeil (c'est le cas de le dire) à Jurassic Park, Titanic, son propre Jeanne d'Arc...

Au final, un cinéma devenu archétype parfait ! Et alors qu'à ses débuts, c'est l'esthétique de Besson qui était critiquée comme étant « publicitaire », c'est aujourd'hui le fond de son cinéma qui est devenu de la pub : pure représentation de clichés qui nous font penser à d'autres films (plus réussis, en général).

Ainsi, de créateur qui enterrait le cinéma de papa et lui redonnait une nouvelle vie dans les années 80, Luc Besson est devenu le fossoyeur de sa propre créativité, et son entêtement à ne pas s'ouvrir à des scénaristes, dialoguistes autres que lui-mêmes, fait qu'on n'espère plus la moindre résurrection de celui qui fut notre idole.

Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec (Luc Besson, France, 2010)
Avec : Louise Bourgoin, Matthieu Amalric, Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve...

PS : cadeau-bonus, pour le fun :