mercredi 18 août 2010

Le cas Night and Day

Une affiche, c'est fait pour illustrer un film. En faire comprendre en un coup d'oeil le genre, l'atmosphère...

Pour le nouveau film de James Mangold, avec Tom Cruise et Cameron Diaz, manifestement, ce n'est pas simple, il suffit pour cela de comparer les affiches US et françaises.

Oscillant sans cesse entre action et comédie, premier et second degré, Night and Day ne manque pourtant ni de charme ni de drôlerie, mais le film souffre d'un sacré problème d'efficacité.

Film d'espionnage, comédie romantique, blockbuster bourré d'action, film comique... il ne choisit jamais son camp !

Les interprètes n'y sont pour rien, ils valent le détour dans toutes les situations et font étalage de leur charme et de leur humour - plutôt la faute à un scénario tellement remanié qu'au final, il n'est plus qu'une avalanche de scènes plus hénaurmes les unes que les autres, comme un grand 8 perpetuel divertissant mais qui tourne à vide.

Et finalement, la parodie est un des genres les plus difficiles à réussir... Souvenez-vous, dans un genre comparable, du Last action hero, de John McTiernan, avec Schwartzenegger ; là aussi, l'auto-parodie donnait un film excellent, mais pas du tout « efficace » en termes de rythme ni d'enjeux !

Preuve en est sans doute qu'aussi bien le McTiernan que ce Night and Day se sont plantés au box-office américain...

Le K

Partons de l'affiche originale : les noms des deux stars en police 258 indiquent bien que l'association du Tom et de la Cameron est l'intérêt du film.

Les deux silhouettes découpées la jouent un peu générique de James Bond, archétypes du genre avec une opposition féminin-masculin : l'homme est en mouvement (comme dans Charade), la femme se déhanche (comme dans Charlie's Angels, avec la même blonde aux yeux piscine).

En toile de fond, les taches de couleur annoncent un film aux couleurs chaudes, mélange de soleil et de sang – pas un hasard si les rythmes chaloupés et hypnotiques de Gotan Project sont très présents sur la BO et si les scènes les plus folles du film se déroulent à Séville, entre taureaux et arène - olé !

Bref un film d'action... haut en couleur.
Mais entre l'affiche originale et l'affiche française, c'est vraiment le jour et la nuit !

Pas le K

Pour la France, il y a d'abord eu cette première version teaser, où le titre change. Eh oui, on passe de knight à night ; curieusement, le K a disparu. Le personnage joué par Cruise s'appelle Knight, et au passage, on retire donc le jeu de mot du titre.

Déjà au départ, cela ne voulait pas dire grand chose, mais là, cela devient assez débile, il faut le reconnaître : pas évident pour un film d'avoir un titre à la fois incompréhensible et en même temps... banal.

(Le summum est bien sûr atteint par nos amis québécois - remarque, ils auraient pu traduire par « Chevalier et Jour », tant qu'à faire).

Continuons.
Entre le teaser et la sortie, la vraie affiche française change du tout au tout. Il faut dire qu'entretemps, le film est sorti aux USA et n'a pas marché, ni le jour ni la nuit. On imagine le brainstorming interminable du marketing France : comment montrer que c'est un film à la fois romantique, sexy, d'action et comique ?

Eh bien voilà le résultat, my friends.
Finies les silhouettes découpées, mystérieuses et archétypales. Non, on voit les 2 personnages dans une des poses acrobatiques du film, à la fois enlacés (sexy), bien coiffés (romantique) sur une moto avec des flingues (action) et enlacés-bien-coiffés-sur-une-moto-avec-des-flingues (comique).

Enfin, une baseline avec un jeu de mot pourave, puisqu'on a échappé à celui du titre américain, ce qui permet aussi de souligner le coté un peu potache du film, et son délire de véhicules divers (voiture, moto, hélicoptère, hors-bord, avion.., trottinette free-style – ah non, ça c'était trop cher).

Ah oui : le fond blanc sur lequel se découpent les personnages, c'est pour montrer que c'est une comédie, un peu comme dans, au hasard :

Revenons à notre affiche française... La solution retenue ne manque pas d'astuce, mais la position des 2 acteurs est, pour qui n'a pas vu le film, totalement absurde et on a l'impression d'un photomontage (remarque, quand l'on a vu aussi)

Donc, on se retrouve avec une image bien trouvée mais peu lisible. Elle dit trop de choses, cette image, et au final, le temps d'un regard à l'affiche... elle ne dit rien !

Mais un doute m'étreint subitement : comment les autres pays ont-ils résolu le problème ? Allons-faire un tour chez deux de nos voisins et néanmoins amis : l'Allemagne et la Grèce.

Nacht und Tag ?

Les allemands ont fait un choix différent, en choisissant une posture acrobatique comparable, mais avec un code couleur plus tranché, noir et blanc, titre en rouge. Cela nous donne un positionnement plus proche de film d'action que de film comique.

L'atttude des deux stars révèle avant tout la menace qui les entoure et leur complicité : cela rappelle un peu la scène ci-dessous de Mr and Mrs Smith par exemple.

A noter : l'affiche de Mr and Mrs Smith était beaucoup plus efficace, à la fois comédie (souvenez-vous, les silhouettes découpées sur fond blanc), film d'action (les flingues) et sexy (l'attitude des deux stars, face à face, adossées au bord).







Tom et Cameron vont se faire voir chez les grecs

Dernier exemple : nos collègues grecs sont en crise mais gardent néanmoins le moral, les bougres : témoin, cette affiche qui associe le coté sexy (les 2 stars enlacées), l'action (les guns), et aussi les taches de couleur de l'affiche originale en fond, qui, là, font juste très moche, il faut bien le dire.

Bref, vous pouvez aller voir Night and Day, vous ne le regretterez pas, mais ne vous attendez pas à autre chose qu'un grand n'importe quoi divertissant !

En cadeau bonus : pour mieux comprendre comment la scène à moto a été tournée, ben oui - tant pis pour la magie du cinéma :

A noter : cette chronique est un hommage au travail de l'excellent Alain Korkos, spécialiste du décryptage des images sur http://www.arretsurimages.com/, travail dont elle s'inspire largement aussi bien sur le fond que sur la forme.

(K)Night and Day (James Mangold, USA, 2010)
Avec : Tom Cruise, Cameron Diaz...

dimanche 15 août 2010

Hollywood, Usine à Rêves !

Lorsque commence Inception, il semble que tout déjà soit fini.

Nous sommes au bord de la mer, hautes vagues déferlant sur le rivage, un corps est échoué sur la plage, balloté par le ressac.

Mais l'homme bouge, un œil s'est entrouvert... ce n'est pas une fin, c'est l'ouverture : qui est-il, d'où vient-il, et pourquoi ces soldats japonais en armes qui le saisissent sur la grève ?

Nous ne tarderons pas à comprendre que Cobb, cet homme mystérieux, est - en réalité - le plus étrange des espions industriels : il extorque leurs secrets à des individus en les projetant, dans leur sommeil, à l'intérieur de rêves conçus sur mesure, dans ce monde où la technologie permet de partager les rêves.

Cobb est le meilleur dans son domaine, et c'est à lui qu'un riche industriel demande d'organiser une opération particulière, puisqu'il s'agit de monter une « inception », c'est-à-dire l'introduction d'une idée dans le subconscient d'un de ses concurrents, afin de lui faire prendre ensuite, sorti des bras de Morphée, la «bonne» décision.

Pour cela, Cobb et son équipe doivent fabriquer un rêve intégralement et s'y plonger avec l'individu ciblé, sans que celui-ci puisse bien entendu le soupçonner ! Mais le fait que Cobb ait lui-même un inconscient soumis à de lourds antécédents risque d'interférer dans sa mission...
J'ai encore rêvé d'elle
Le nouveau film de Christopher Nolan aborde de plein front le domaine du rêve – étonnant de la part du réalisateur d'Insomnia ? - dans une œuvre qui qui se veut à la fois labyrinthe ET divertissement.

Clairement inspiré dans sa thématique par Matrix et eXistenZ, Inception joue sur un univers-gigogne qui superpose des niveaux de rêves imbriqués, mais aussi sur une classique intrigue de film de braquage à la Ocean's Eleven.

En effet, les ingrédients du genre sont présents : Cobb/DiCaprio comme chef de bande qui va chercher un par un chacun les experts qui vont constituer son équipe, et puis ce grand hangar vide pour préparer leur coup, etc.

Dans sa volonté de concocter un vrai film d'action, Nolan aligne les morceaux de bravoure comme autant d'hommages à ses modèles : fusillade en pleine rue à la Heat, attaque de base enneigée couleur James Bond, poursuite dans les ruelles de Monbassa signée Jason Bourne, baston mains nues dans des couloirs dignes de Matrix...

L'intrigue d'espionnage d'ensemble elle-même fleure bon le bon vieil épisode de Mission Impossible, où la cible est un individu dont les faiblesses intimes causeront la perte, autour duquel une arnaque est montée, dans laquelle chaque membre de l'équipe joue un rôle – avec aussi un « homme aux mille visages », spéciale dédicace au grand Martin Landau !

Dreamer, you know you are a dreamer
Le film tient donc ses promesses d'action movie, mais soyons clairs, s'il casse la baraque, c'est moins pour ses scènes d'action, bien fichues mais sans souffle - dont certaines sont mêmes inutiles (la poursuite en pleine ville au Kenya, totalement gratuite) - que pour son scénario diabolique, les rêves s'imbriquant au fur et à mesure comme autant de niveaux de réalité parallèles !

En effet, tout l'enjeu du récit tient dans la simultanéité des climax, chacun situé dans un niveau différent, le temps s'y déroulant à une vitesse différente.

Et Nolan de revenir ainsi à ses obsessions déjà célébrées dans Memento et Le Prestige notamment : quelle est la différence entre ce qui est et ce qu'on imagine ?

Dans une passionnante interview dans les Inrocks, ici, l'auteur/réalisateur souligne que son interrogation porte moins sur le jeu entre le réel et le virtuel que sur l'INTERET même de la réalité : à quoi bon vivre dans le réel, si la fiction la dépasse ?

Le tour de force d'Inception réside donc dans le fait que nous savons (presque) toujours si nous sommes dans la réalité ou dans un rêve : le film ne joue pas sur cette confusion, mais plutôt sur le dilemme d'un homme.
Monsieur rêve
Là intervient la puissance du personnage de Cobb - interprété par Di Caprio avec beaucoup plus de finesse et de nuance que dans Shutter Island, dans un rôle curieusement proche – pris entre une réalité où il a tout perdu et le monde du rêve où tout est encore possible...

Cette névrose interfère sans cesse dans l'intrigue et fait du héros, une fois n'est pas coutume, le maillon faible de l'équipe (excellents Ellen « Juno » Page, Joseph Gordon-Levitt, Tom Hardy...). Et comme le film s'enfonce peu à peu dans l'inconscient du jeune dirigeant à manipuler, nous plongeons aussi en parallèle dans la psyché de Cobb, vers une double-rédemption ?


Profondeur de champ qui catapulte le film bien au-delà du pop-corn movie ! Machine à arrêter le temps, luna park surréaliste... cités cyclopéennes de verre et de métal qui s'effritent... dédales graphiques d'escaliers en trompe-l'oeil... et ce train qui déboule en pleine rue... et puis ces morts qui sont toujours là où on ne les attend pas... jusqu'à revisiter le mythe d'Orphée.

Remember, Orphée qui gagne le droit, par son talent de musicien, de descendre dans les limbes chercher sa défunte aimée Eurydice, à la seule condition qu'il ne la regarde pas pendant leur remontée vers la surface. Bien sûr, il se retournera et la reperdra définitivement.

De la même façon, Cobb, veuf inconsolable, gagne une dernière chance d'aller chercher son épouse au fond d'un niveau de rêve perpétuel appelé... les limbes, et il y a ces flashbacks récurrents de ses enfants sur la plage, qui partent toujours avant qu'il ne puisse voir leur visage, comme s'il ne fallait pas qu'il voit leur face, au fur et à mesure de sa descente – de sa remontée ?

De Morphée à Orphée, en passant par le Dieu Cinéma !

Eh oui, le rêve c'est aussi du cinéma ! Inception en éloge de la magie du montage, là où le temps passe différemment - ne peut-on pas vivre toute une vie, le temps d'un film d'1h30 ?

Où sinon dans le cinéma, retrouve-t-on cette idée typiquement onirique d'accepter les choses telles qu'on nous les présente : ici, on pose que dans ce monde qui ressemble en tout point au nôtre, la technologie du partage du rêve existe, sans aucune explication scientifique inutile !

Et bien sûr, quel meilleur architecte de rêve qu'un réalisateur comme Nolan, qui construit un univers ludique dans lequel il nous invite à nous perdre, nous autres simples spectateurs ?

Eh oui, un film, c'est juste un rêve partagé – isnt' it ironic que le gimmick sonore qui signifie aux personnages la fin prochaine du rêve où ils se trouvent, soit la chanson de Piaf « Je ne regrette rien », alors que justement Cobb est un homme qui regrette TOUT ! Clin d'œil, la chanson clôt aussi le générique de fin : réveillez-vous, amis spectateurs, la réalité vous attend dehors !

… Quant à Orphée, dans le mythe, il sera finalement déchiqueté par les Ménades, et sa tête, jetée dans le fleuve Hebros, ballotée par le ressac, finira par s'échouer sur une plage, hautes vagues déferlant sur le rivage - nous sommes au bord de la mer.

Et lorsque finit Inception, il semble que tout enfin commence.


Inception (Christopher Nolan, USA, 2010)
Avec : Leonardo diCaprio, Ellen Page, Marion Cotillard, Tom Berenger, Joseph Gordon-Levitt...