mercredi 5 mai 2010

Monstres & Cie

Difficile de parler du début d'History of violence sans évoquer le fameux « effet Koulechov ».

Lev Koulechov, en dépit de son patronyme qui fleure bon le lanceur de poids, était un cinéaste russe, qui a mis en évidence et théorisé la propension d'une image à influer sur le sens des images qui l'entourent, dans un montage cinématographique.

Koulechov a notamment développé l'expérience scientifique suivante : il choisit un gros plan d'un acteur, avec une expression neutre. Il construit ensuite trois montages différents, incluant ce même plan.
Dans le premier montage, avant le gros plan, il insère un plan d'une assiette de soupe. Dans le second montage, il insère, à la place de l'assiette de soupe, un cadavre dans un cercueil. Enfin, il insère un plan d'une femme allongée sur un canapé.

Interrogés après le visionnage de chaque séquence, les spectateurs doivent caractériser le sentiment exprimé par l'acteur. Dans le premier cas, les spectateurs croient percevoir la faim, dans le second, la tristesse et dans le dernier le désir.

Les images ne prennent donc sens que les unes par rapport aux autres, et non indépendamment les unes des autres. Cet effet est à la base de la narration cinématographique.

Et c'est sur cet effet que joue David Cronenberg pour introduire son A History of violence...

« J’ai fait un cauchemar, j’ai rêvé que des monstres étaient dans le placard »... la petite fille réveille toute la maisonnée en pleurant, et viennent à son chevet son père compréhensif, sa maman rassurante et son grand frère ado protecteur…

Papa, Maman, Grand-frère… notre belle famille, réunie autour de ses corn-flakes du matin, lui calme et aimant dans son petit restaurant de quartier, elle, avocate à la quarantaine sereine, leur fils, sensible et sage, et enfin la petite fille à la blondeur espiègle…

Ces scènes d’ouverture, dégoulinantes de bonheur publicitaire, ne sont supportables que parce qu'elles ont été précédées d'un pré-générique ultra violent, qui semble n'avoir rien à voir. Tout ce qui suit, même le plus banal, se voit ainsi avec une sourde inquiétude… attente angoissée du moment où cette introduction sanglante va rejoindre et souiller ce bonheur idéal…
Effet Koulechov garanti !

Et ce moment arrive.

Car le braquage de son tranquille diner par deux psychopathes va faire réagir Tom non pas à la manière d’un bon père de famille, mais comme un véritable tueur.

Son passé est à ses trousses.
Sur la trame ultra simple et efficace d’une série B, David Cronenberg s’amuse avec les fausses pistes, nous entraîne sans cesse là où on ne l’attend pas et joue avec un certain humour sur tous les codes du genre, pour conduire au final une réflexion troublante sur la nature humaine.

A History of violence autorise en effet plusieurs niveaux de lecture : l’histoire d’un brave type rejoint par son passé et qui va tenter de s’en sortir en protégeant sa famille… et une parabole provocatrice sur la graine de violence prête à germer en chacun d’entre nous !

La mise en scène joue la sobriété, ce qui met encore plus en valeur les quelques moments bruts qui éclatent comme autant de chocs émotionnels ; comment une dispute conjugale se termine en scène de sexe animale, digne de Crash : papa et maman qui baisent comme des bêtes dans l’escalier, excités par cette atmosphère de violence ?

Comment ne pas citer aussi une scène magique de retrouvailles entre les deux frères qui ne se sont pas vus depuis 15 ans (excellents William Hurt et Viggo Mortensen) : rapport de force oscillant sans cesse entre le sourire et la terreur. Face à face, à la fois les deux petits garçons qu’ils étaient, et les deux tueurs d’aujourd’hui …
Au final, le bonheur Ricoré ne saurait cacher que les vrais monstres, ils ne sont pas dans le placard. Ils sont là, avec toi, gamine… ton père, ta mère, ton frère… tous des monstres !

Là se situe une morale… amorale d’A History of violence. Le Mal est invité à la table familiale, et son couvert doit lui être servi. Cet épilogue nous laisse, comme spectateurs, devant ce dîner, seuls face à nous-même.

Devant ce festin, nus.

A history of violence (David Cronenberg, USA, 2006)
Avec : Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris, William Hurt...
D'après le roman graphique de John Wagner et Vince Locke.

2 commentaires:

  1. Ben voila, maintenant va falloir que je le revois sous un autre angle ;)

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  2. C'est bien le genre de films qu'on peut revoir et en decouvrir a chaque fois qch de différent...

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