Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans les cinémas, avant d'entrer dans la salle, c’est moquette au mur et couleurs vives, alors que pour en sortir, c’est plutôt béton gris et déco minimaliste post-apocalyptique !
Cela ne peut pas être uniquement une question de moyens, avec Messieurs Ugécé et Gaumont se disant : mettons le paquet sur l'accueil, mais la sortie, on s'en fout, maintenant qu'ils ont payé, ces gogos ! Car les exploitants ont tout intérêt à fidéliser les spectateurs, qui, avec un peu de chance, iront voir plus d'un film dans leur existence... Donc pas une question de budget.
Alors quoi ?
Car mine de rien, on discute en général plus en sortant d'un film qu'en y entrant... c'est donc bien dans les dédales de couloirs glauques derrière la porte sortie, qui vous conduisent, par moultes circonvolutions, vers une sortie-sinistre-dans-quelque-rue-perdue-de-l'autre-côté-du-paté-de-maison, que l'on commence à échanger ses premières impressions !
Et il y a vraiment des films dont on commence à discuter, tout de suite, en sortant du cinéma…on est encore un peu dans l'histoire, mais on veut déjà échanger pour savoir ce que les autres en ont pensé... comme pour le nouveau Scorsese, par exemple !
Shutter Island constitue en effet un cas d'école qui justifierait presqu'à lui seul de réhabiliter les sorties de salle, tant sa vision suscite la discussion, les échanges, dans les couloirs de tous les cinémas du monde !
Côté affiche, il faudrait être fou pour demander plus : une histoire forte d’après un roman à succès (signé Dennis Lehane, épatant auteur de Mystic River ou Gone, baby, gone, déjà adaptés au cinéma avec bonheur), un réalisateur-culte, une pleiade d’acteurs remarquables (Leo di Caprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, et même Max « Father Merrin » Von Sydow !)...
Bref un projet ambitieux… mais si vous en avez discuté ensuite, c'est surtout au sujet de son twist final, non ?
Car Shutter Island, cette enquête policière en forme de plongée dans un hôpital psychiatrique néo-gothique, le tout dans une ambiance années 50 poisseuse, ne serait-elle pas qu’une honnête Série B surproduite ?
Bien entendu, Leonardo di Caprio joue avec une belle intensité son rôle de flic torturé par ses démons, et la réalisation de Martin Scorsese crée avec efficacité un labyrinthe mental visuellement sidérant (Dante Ferretti au décor : Entretien avec un vampire, Sweeney Todd, Et vogue le navire, Le nom de la Rose…). Au passage, on voit bien que l’ami Marty rend hommage à un genre qu’il adore, comme en témoigne par exemple la magnifique transparence du début, sur le bateau !
Les séquences de rêve, utilisées comme électrochocs scénaristiques, sont elles aussi intéressantes, quelque part entre le surréalisme des scènes oniriques de La Maison du Dr Edwards et l’hyper réalisme de Lynch – mais David Lynch, parlons-en, car le « czar of bizarre » s’est révélé infiniment plus déroutant dans la peinture des délires schizophrènes (remember les sublimes Lost Highway et Mulholland Drive).
En effet, tout au long de Shutter Island, malgré des scènes impressionnantes, je suis resté spectateur de l’intrigue, jamais égaré dans ce puzzle paranoïaque. Et le dénouement, lourdement démonstratif, referme la dernière sangle de cette camisole dans laquelle Scorsese semble s’être enfermé lui-même.
Peut-être s’est-il lui-même retrouvé… prisonnier d’une histoire qui ne repose que sur une seule idée ?
Au final, Shutter Island est juste un divertissement, spectaculaire et lourdingue, dont on parle avec plaisir des méandres, et ce dès la sortie du film… ce qui ne résoud pas notre problème de différence de standing entre l'entrée et la sortie de la salle...
Shutter Island (Martin Scorsese, USA, 2010)
Avec : Leonardo di Caprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Max Von Sydow...
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