lundi 22 mars 2010

The Ghost writer : La menace fantôme ?

Ne vous fiez pas à la bande-annonce de The Ghost writer : plat résumé de l'intrigue, elle ne fait que souligner ce qu'aurait pu être le film sans la géniale patte de son réalisateur, c'est-à-dire un suspense politico-paranoïaque de plus !

Ce trailer on ne peut plus classique de thriller nous raconte en effet sagement comme un jeune écrivain (Ewan McGregor, toujours parfait en innocent plus retors qu'il en a l'air) est recruté pour réécrire les mémoires d'un ancien premier ministre anglais, Adam Lang, dont le nègre vient de disparaître.

Le montage de la bande-annonce permet de comprendre qu'il rejoint le politicien en villégiature sur une île, dans une extraordinaire maison isolée au bord de la mer. On y voit Lang (Pierce Brosnan) et autour de lui des femmes mûres, séduisantes et troubles, des poursuites, une tourmente médiatico-politique qui accuse Lang d'avoir couvert des crimes de guerre commis au Moyen-Orient par le Grand Frère américain, une enquête dangereuse menée par notre écrivain dépassé par des enjeux qui le dépassent ...

Mais comment cette bande-annonce pourrait-elle évoquer la subtilité d'une intrigue tortueuse à souhait, bourrée de fausses pistes et d'accélérations foudroyantes ?

Comment pourrait-elle faire deviner l'atmosphère délétère de cette maison qu'occupent Lang et son staff...décor high tech luxueux, personnage à lui seul en ce qu'il illustre spectaculairement l'isolement de Lang, avec ses immenses pans de mur vitrés donnant sur une lande battue par les vents et la pluie... comme s'il vivait à côté du vrai monde, protégé. Comme si la menace de l'extérieur se rapprochait ?

Des femmes splendides au destin tragique, autour d'un homme rattrapé par son passé, une atmosphère de lynchage médiatique... évidemment, cela fait penser à l'autre actualité de Polanski, mais il serait injuste de réduire le film à cette vision déformée, le film ayant précédé ses déboires judiciaires.

Plus révélateur est le fait que l'écrivain Robert Harris, ici coscénariste avec Polanski, ait été un conseiller très proche de Tony Blair ! Le film est ainsi rattrapé par une autre réalité, autrement plus essentielle : l'audition de Blair il y a quelques semaines par une Commission d'enquête, sur le déclenchement de la guerre en Irak...

Bref, une bande-annonce peut-elle faire comprendre que le nouveau film de Roman Polanski est un quasi chef d'oeuvre ?

Un peu à la manière d'Hitchcock au sommet de son art, Polanski conçoit en effet avec The Ghost writer un ensemble parfaitement cohérent : récit maîtrisé de bout en bout, interprétation remarquable (Pierce Brosnan dans son meilleur rôle, Michelle Williams en épouse brillante et bafouée, jusqu'aux seconds rôles : James Belushi, Tom Wilkinson...), musique entêtante, répliques ciselées, humour sarcastique... un pur bonheur de cinéma, dont on jouit à chaque seconde.

Alors pour savoir ce qui fait tout le sel de The Ghost Writer, fiez-vous plutôt à sa première scène, qui aurait constituée le meilleur des teasers :

Un ferry arrive à quai, et peu à peu tous les passagers rejoignent leur voiture pour débarquer les uns après les autres du bateau. Mais étrangement, une voiture bloque les autres – personne pour la démarrer. Tous les autres véhicules sont obligées de la contourner et elle se retrouve seule au milieu... on devine immédiatement que quelque chose s'est passé pendant la traversée... mais où est donc passé son propriétaire ?

Introduction brillante, dans un langage purement cinématographique, parfaite ellipse qui nous immerge avec classe et humour dans le mystère de The Ghost writer.

The Ghost Writer (Roman Polanski, UK-France, 2010)

Avec : Ewan McGregor, Pierce Brosnan, Michelle Williams, Kim Cattral, Tom Wilkinson...


jeudi 11 mars 2010

et moi, et moi… bouche bée

« This is not a war. This is an extermination!»

Pur fun.
Blockbuster définitif.

Spielberg a inventé le film d’action contemporain avec Les Dents de la Mer. C’était il y a 35 ans.

Depuis, il a tâté de tous les genres, le meilleur et le pire, et parfois même le passage de l’un à l’autre dans le même film (souvenez-vous de la fin navrante de Minority Report)

Avec La guerre des mondes, Spielberg réinvente le film catastrophe, rien de moins. Vous prenez Titanic, Il faut sauver le Soldat Ryan, La liste de Schindler, vous mixez, vous rajoutez une grosse lampée de 11 septembre, et hop, servez très frais. Un scénario et un filmage exceptionnels, une noirceur évidente du propos : une vision amère d'une Amérique sans héros.

L’invasion de la Terre par des extraterrestres, mais pas vue du bureau ovale de la Maison Blanche, ou bien live on CNN…non…on est à hauteur d’homme.

D’un tout petit homme, de surcroît, le gars Tom Cruise. Un simple ouvrier un peu bas de plafond, incapable de jouer son rôle de père, même pour un week-end de temps en temps. Face à l’invasion, il va devoir sauver non pas le monde, non pas l’Amérique, pas même sa banlieue pourrie.. non, sa famille, ses enfants.

C’est tout. Nous allons les suivre dans leur exode à travers l’Amérique, au milieu d’une population en cours d’extermination.

On ne s’éloigne jamais du point de vue de la famille du héros, tout au long du film, hallucinant ride qui ne s’arrête jamais, pas d’actes héroïques, ou alors ils tournent au pathétique, et ces images sidérantes, train en feu circulant à toute berzingue, cadavres flottants sur le fleuve, noir complet pendant quelques secondes puis s'élève la voix de la gamine («are we still alive ?»)...
... et puis Tim Robbins hallucinant en dernier rempart branlant d’une Amérique paumée, et ce rythme infernal… et moi, et moi… bouche bée devant ce spectacle grandiose qu’est La guerre des mondes.

La guerre des mondes (Steven Spielberg, USA, 2004)
avec Tom Cruise, Dakota Fanning...

samedi 6 mars 2010

Les sorties de films, tout le monde en parle, mais qui osera (enfin) aborder la question des sorties des cinémas ?

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans les cinémas, avant d'entrer dans la salle, c’est moquette au mur et couleurs vives, alors que pour en sortir, c’est plutôt béton gris et déco minimaliste post-apocalyptique !

Cela ne peut pas être uniquement une question de moyens, avec Messieurs Ugécé et Gaumont se disant : mettons le paquet sur l'accueil, mais la sortie, on s'en fout, maintenant qu'ils ont payé, ces gogos ! Car les exploitants ont tout intérêt à fidéliser les spectateurs, qui, avec un peu de chance, iront voir plus d'un film dans leur existence... Donc pas une question de budget.
Alors quoi ?
Car mine de rien, on discute en général plus en sortant d'un film qu'en y entrant... c'est donc bien dans les dédales de couloirs glauques derrière la porte sortie, qui vous conduisent, par moultes circonvolutions, vers une sortie-sinistre-dans-quelque-rue-perdue-de-l'autre-côté-du-paté-de-maison, que l'on commence à échanger ses premières impressions !
Et il y a vraiment des films dont on commence à discuter, tout de suite, en sortant du cinéma…on est encore un peu dans l'histoire, mais on veut déjà échanger pour savoir ce que les autres en ont pensé... comme pour le nouveau Scorsese, par exemple !

Shutter Island constitue en effet un cas d'école qui justifierait presqu'à lui seul de réhabiliter les sorties de salle, tant sa vision suscite la discussion, les échanges, dans les couloirs de tous les cinémas du monde !

Côté affiche, il faudrait être fou pour demander plus : une histoire forte d’après un roman à succès (signé Dennis Lehane, épatant auteur de Mystic River ou Gone, baby, gone, déjà adaptés au cinéma avec bonheur), un réalisateur-culte, une pleiade d’acteurs remarquables (Leo di Caprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, et même Max « Father Merrin » Von Sydow !)...

Bref un projet ambitieux… mais si vous en avez discuté ensuite, c'est surtout au sujet de son twist final, non ?

Car Shutter Island, cette enquête policière en forme de plongée dans un hôpital psychiatrique néo-gothique, le tout dans une ambiance années 50 poisseuse, ne serait-elle pas qu’une honnête Série B surproduite ?

Bien entendu, Leonardo di Caprio joue avec une belle intensité son rôle de flic torturé par ses démons, et la réalisation de Martin Scorsese crée avec efficacité un labyrinthe mental visuellement sidérant (Dante Ferretti au décor : Entretien avec un vampire, Sweeney Todd, Et vogue le navire, Le nom de la Rose…). Au passage, on voit bien que l’ami Marty rend hommage à un genre qu’il adore, comme en témoigne par exemple la magnifique transparence du début, sur le bateau !

Les séquences de rêve, utilisées comme électrochocs scénaristiques, sont elles aussi intéressantes, quelque part entre le surréalisme des scènes oniriques de La Maison du Dr Edwards et l’hyper réalisme de Lynch – mais David Lynch, parlons-en, car le « czar of bizarre » s’est révélé infiniment plus déroutant dans la peinture des délires schizophrènes (remember les sublimes Lost Highway et Mulholland Drive).

En effet, tout au long de Shutter Island, malgré des scènes impressionnantes, je suis resté spectateur de l’intrigue, jamais égaré dans ce puzzle paranoïaque. Et le dénouement, lourdement démonstratif, referme la dernière sangle de cette camisole dans laquelle Scorsese semble s’être enfermé lui-même.
Peut-être s’est-il lui-même retrouvé… prisonnier d’une histoire qui ne repose que sur une seule idée ?

Au final, Shutter Island est juste un divertissement, spectaculaire et lourdingue, dont on parle avec plaisir des méandres, et ce dès la sortie du film… ce qui ne résoud pas notre problème de différence de standing entre l'entrée et la sortie de la salle...

A moins que ce ne soit fait exprès, finalement, ces sorties sinistres de cinéma, comme un sas de décompression, comme une transition entre le monde du cinéma et la grisaille de la réalité… Pour amortir le choc de ne plus être un spectateur fasciné, mais à nouveau le simple acteur de sa propre vie.Un parcours de couloirs nurs et gris, comme un passage mental pour nous faciliter cette schizophrénie ordinaire qui fait l'essence du cinéma...

Shutter Island (Martin Scorsese, USA, 2010)
Avec : Leonardo di Caprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Max Von Sydow...