Dessiner comme Van Gogh ? Composer comme Vivaldi ?
Jouer comme Thelonious Monk ?
L’Intelligence Artificielle sait déjà faire, les preuves en
images ici.
De là à créer un programme qui passe le test de Turing….
vous savez, l’Imitation game créé
pour répondre à la question ‘une machine peut-elle penser ?’ - non, non, don’t
worry, pas un mot ici sur le biopic d’Alan
Turing avec Benedict Cumberbatch, épouvantable machine à oscars écrite par un
robot-scénariste, probablement !
Non, parlons plutôt de cette merveille qu’est Ex Machina, ode à l’intelligence artificielle
signée Alex Garland, quelque part entre Asimov et… Frankenstein !
I, robot
Un jeune informaticien est sélectionné par son génial gourou-employeur
pour participer à l’évaluation d’une nouvelle forme d’intelligence artificielle,
incarnée dans un séduisant robot féminin. Bien évidemment, le Turing test va être pollué par les
sentiments, et le trio entre le créateur démiurge, sa troublante créature
mi-robot/mi-femme et le jeune homme va progressivement déraper…
Au-delà de l’intrigue
diabolique – on y revient dans quelques lignes – Ex Machina fascine par son atmosphère unique, confinée, et ses
acteurs en état de grâce.
Cette ambiance claustrophobique est bien sûr liée au décor
incroyable de la maison de Nathan, repaire de verre et de métal en pleine
nature, baies vitrées sur la forêt vierge, couloirs immaculés de vaisseau
spatial, le tout entièrement piloté par ordinateur – sésames-ouvre-toi obligatoires !
Mais la grâce du montage, le lent enchaînement de scènes répétitives,
petit-déjeuner, séances de test, couchers, les déambulations dans ces couloirs
métalliques, ces chambres comme autant de cellules de prison dorée – tout contribue
à cette impression d’enfermement, réminiscence de 2001 et de son voyage interstellaire.
Et tel Dave qui faisait du jogging dans le module tournant
de son vaisseau, Nathan passe son temps à entraîner son corps…
Parlons-en de Nathan, ce gourou Steve-jobesque, avec sa barbe
à la Kubrick, justement, interprété par Oscar Isaac avec une désarmante authenticité.
Sur le papier, c’est clair, le personnage est un archétype du film fantastique,
Dr Frankenstein/Docteur Moreau qui se prend pour Dieu, à coups de citations
biblico-philosophiques et qui in fine
perd le contrôle de ses créatures. Bref
l’ermite high-tech qui vit en reclus, manipulateur et démiurge, génie solitaire
et alcoolisé.
Et pourtant, Isaac, par le naturel de son jeu, rend chacune
de ses scènes inattendues, pour composer un être complexe, qui garde son mystère
- un être humain.
Quant à la créature, ici, elle revêt le doux visage et la parfaite
plastique d’Alicia Vikander, ce qui est à la fois un judicieux choix esthétique
et une belle manipulation du public qui va, comme l’excellent Domhnall Gleeson,
succomber au charme de la gracieuse quoique cybernétique donzelle.
Last but not least, ce qui fait d’Ex Machina un petit chef-d’œuvre du genre, c’est sa manière
élégamment décalée d’aborder un thème archi-classique, en jouant explicitement sur
les mythes, Platon et sa caverne, Promethée et son orchestre, etc. Et difficile
ici de ne pas évoquer son plus illustre prédécesseur dans le genre, Blade runner.
A 30 ans d’écart, les
deux films abordent avec un égal bonheur, malgré un langage cinématographique totalement
différent, le thème de la frontière floue entre humains et robots.
Mais alors que Ridley Scott montrait avec noirceur et poésie
des humanoïdes qui éprouvent des sentiments humains, Alex Garland joue plutôt
avec les humains…
Sean Young - Blade Runner |
Attention - SPOILERS - Ne pas lire la suite si vous n'avez pas encore vu ce bijou.
Car c’est en se basant sur tout l’historique de données du
jeune homme, ses fantasmes répertoriés, son histoire personnelle, son profil de
navigation sur Internet, que Nathan crée, sur mesure, l’idéal féminin du jeune
homme. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Can’t help fallin’ in love.
Morale de l’histoire : le robot fait-il vraiment preuve
d’humanité, en se libérant de ses chaînes et de son créateur ? Peut-être. Mais
ce qui est sûr, c’est que c’est l’humain qui peut aujourd’hui être programmé
pour ressentir un sentiment, à travers l’analyse de tous nos comportements. Et
je vous épargne la programmation génétique, la PNL et autres joyeuseté de ère
big-dataesque qui est la nôtre. Pour preuve, l'hallucinante scène où le jeune informaticien finit par se faire saigner, dans sa salle de bains, pour vérifier qu'il est bien... humain !
Alors ex-Machina
comme nouvelle variation sur le thème classique des machines qui vont devenir
humaines, ou bien comme volonté de décryptage du mystère humain, à travers sa
plus belle expression, le sentiment amoureux ?
Ex Machina, Grande-Bretagne,
2015 - Alex Garland